Novethic : Qu’est-ce que le mouvement Ekta Parishad ?
Rajagopal PV : Ekta Parishad est une organisation de masse. L’Inde est faite de centaines de milliers de villages où vivent 70 % de la population Indienne. Dans ces villages, Ekta Parishad forme des petits groupes qui ont vocation à s’intéresser aux problématiques quotidiennes des villageois.
Les groupes s’emparent de questions comme l’alcoolisme, le manque d’instituteurs, l’accès à l’eau potable, l’accès aux médicaments et prennent l’habitude de les traiter de façon non-violente et par la coopération mutuelle. Puis les groupes se rassemblent afin de traiter de problématiques de plus en plus large comme affronter une compagnie minière qui souhaite s’installer ou face à un projet de barrage. Cela impose de pouvoir s’adresser à l’Etat puis au gouvernement fédéral.
Pourriez-vous développer le cas du secteur minier…
Il y a trois types de problèmes dans la gestion actuelle des concessions minières gérées par l’Etat. D’une part les populations locales ont un droit sur l’usage de leur terre, mais pas sur les minerais du sous-sol. D’autre part, ces populations n’ont pas leur mot à dire sur les modes d’exploitation de ces minerais. Il y a pourtant différentes techniques d’extraction, certaines sont plus dangereuses que d’autres pour l’environnement. Enfin, les résistances qui s’organisent dans la population locale rencontrent beaucoup de violence de la part des compagnies.
La marche « pour la justice » |
Le 11 octobre 2012, après dix jours d’une marche qui a rassemblé 35 000 personnes, Rajagopal PV au nom d’Ekta Parishad signait un accord en dix points avec le ministre du Développement rural à Dehli. Celui-ci prévoit la mise en route d’une réforme agraire au niveau de l’Etat fédéral dans les six mois, un accès à la terre et au logement facilité pour les plus démunis. La Jan Satyagraha ( marche « pour la justice ») fut interrompue dix jours avant le terme prévu en raison de la signature de l’accord. La mobilisation d’Ekta Parishad n’en est pas pour autant terminée. Si la Jan Satyagraha a eu lieu en 2012, c’est notamment parce que les engagements pris par l’Etat suite à la marche de 2007 (25 000 participants) ont peiné à être appliqués. |
Comment cela se traduit-il ?
Il s’organise alors un triangle de la violence. Les compagnies minières usent de violences pour faire valoir leurs droits et imposer leurs vues. Des groupes armés révolutionnaires s’emparent de ce contexte et y répondent par la violence pour occuper le terrain. Enfin, des forces paramilitaires se constituent pour contrer ces groupes armés révolutionnaires. Au milieu de ces trois forces, vous avez les villageois qui finissent par s’enfuir vers la ville en abandonnant la lutte contre l’accaparement des ressources et des terres.
Un petit groupe ne peut s’opposer seul à ces compagnies. Il faut donc une organisation de même taille que les groupes économiques contre lesquels nous luttons. C’est l’objectif d’Ekta Parishad qui oppose à une méthode non éthique de dépossession des terres au nom de l’industrialisation et du développement, une forme de mobilisation éthique pour faire respecter le droit des gens.
Le mouvement d’Ekta Parishad est-il celui de l’éthique contre le non éthique ou est-ce une lutte des populations paysannes contre le monde industriel ?
Il ne s’agit pas d’organiser la lutte des paysans contre les industriels. Nous ne disons pas qu’il ne faut pas d’industrialisation. Nous posons plutôt la question : Quelle taille d’industrie est utile ? Dans les campagnes des millions d’Indiens pauvres n’ont pas de travail. Par conséquent, quel type d’industrie est bon pour eux ?
Le véritable enjeu de la lutte est donc que cette industrialisation prenne en compte les populations locales. Or le plus souvent, elle pollue l’eau, détruit l’environnement et finalement chasse ces populations vers les villes.
Prenons l’exemple de l’alimentation. Nous n’avons pas besoin de fermes géantes et de grosses industries agro-alimentaires. 70 % de la population indienne sait comment produire de la nourriture. Distribuons des terres aux familles de paysans plutôt qu’aux multinationales pour l’agro-industrie. Aujourd’hui l’agro-industrie et l’agriculture familiale sont face à face en Inde.
Vous défendez un modèle de développement fondamentalement différent de celui qui prédomine aujourd’hui. Jusqu’où votre démarche peut-elle vous mener ?
Il faut que le conflit s’exprime, il ne faut surtout pas le cacher mais le rendre utile pour améliorer la situation. Nous savons aussi que l’objectif de ceux qui sont au pouvoir est d’y rester. Parvenir à modifier l’équilibre des pouvoirs c’est faire que les dirigeants accordent leur aide aux pauvres et non aux grandes entreprises.
C’est pour cela que nous cherchons toujours à atteindre la taille critique, celle qui est suffisante pour rééquilibrer la balance du pouvoir.
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